| Le 14 octobre 2011
C'est en regardant la télévision que j'ai eu l'idée de m'interroger
sur ce qui pouvait rapprocher la danse et la cuisine, deux domaines
a priori complètement étrangers. En ce moment, plusieurs émissions
mettent la danse à l'honneur (et tant mieux !) dans une grille des
programmes où, toutes chaînes confondues, les émissions de cuisine
fleurissent sans arrêt (Master Chef/TF1, Un dîner presque parfait/M6,
L'amour au menu/Direct8, etc.). J'ai vu quelques similitudes entre
certaines de ces émissions et non seulement les émissions récurrentes
de danse (Danse avec les stars/TF1, La meilleure danse/W9,
Dance Street/France ô), mais aussi avec une certaine vision de la
danse dans son ensemble. D'ailleurs, ne parle-t-on pas aussi bien de
l'art de la danse que de l'art culinaire ?
 Ce qui a déclenché ma réflexion est la composition du jury des
émissions de type "casting". Dans les émissions de cuisine, ce sont
principalement des hommes qui jugent les candidats. Figurez-vous
que dans les émissions de danse c'est aussi le cas. Pourtant, dans
les deux domaines, la grande majorité des pratiquantes sont des femmes.
En effet, ce sont bien les femmes qui font -- encore de nos jours --
des petits plats à toute
la famille dans la plupart des foyers français et, d'un autre côté,
ce sont bien les petites filles qu'on envoie apprendre la danse
en tutu dès le plus jeune âge, de même que ce sont les femmes qui fréquentent
majoritairement les cours de danse et les soirées dansantes.
Je dirais qu'à l'inverse, les amateurs de rugby sont majoritairement
des hommes, et cela ne surprendra personne (même s'il y a aussi des
amatrices, évidemment). Bon, alors qu'est-ce qui fait que les jurys
des émissions de danse ou de cuisine soient composés d'au moins 2/3
d'hommes contre 1/3 de femmes ? Pour la cuisine, il semble que les
femmes conservent une activité orientée autour du quotidien et
du fait de nourrir une famille, alors que certains hommes aient poussé
plus loin l'aspect technique de la cuisine ainsi que la prise de risque pour se diriger vers un côté plus
événementiel. On ne mange pas dans le restaurant d'un grand chef
tous les jours
(en tout cas pas le Français moyen). Je ne vais pas m'étendre
davantage là-dessus,
car ce n'est pas mon domaine de compétence.
Pour ce qui est de la danse, même les hommes ne sont d'un premier abord
pas autant attirés que les femmes, une fois qu'ils y ont mis l'orteil,
ils y mettent le pied, puis y sautent à pieds joints. La raison
de ce revirement ? En dehors de l'aspect artistique commun entre
les hommes et les femmes, il y a aussi un intérêt pour la technique.
Cet intérêt s'amplifie chez les hommes au fur et à mesure qu'ils
progressent. Je passe sous silence ici le plaisir qui peut être
ressenti par un garçon d'évoluer au sein d'un groupe essentiellement
féminin. Dans le cas de la danse en couple, j'ajoute que l'effort
d'investissement nécessaire pour un danseur débutant est plus
important que pour une danseuse. Ainsi, une fois cette difficile
étape passée qui consiste à apprendre à la fois la technique des pas,
les figues, le guidage et peut-être même des enchaînements, le
danseur commence à éprouver le plaisir de danser et de s'exprimer
sur la musique. Car c'est lui qui improvise l'enchaînement des
figures que le couple danse lors des soirées dansantes. L'aspect
technique revient ensuite, car le danseur aperçoit d'étape en étape
qu'il lui est possible d'améliorer sa danse en apprenant de
nouvelles techniques qui lui amènent de nouvelles figures.
Voilà de quoi étonner sa danseuse et, ça, le danseur aime bien.
À l'inverse, la danseuse ne recherche pas forcément ce côté
performance en dehors des compétitions. Elle veut simplement
se divertir en dansant, un peu comme la mère de famille veut
simplement "faire à manger".
Cela pourrait bien expliquer, au moins en partie, pourquoi
on voit davantage d'hommes dans les jurys des émissions.
Je suis persuadé qu'on pourrait écrire un livre entier
ou une thèse de sociologie sur le sujet.
En restant un peu dans le sujet,
j'ai aussi l'impression que concocter une chorégraphie de danse
est très semblable à la réalisation d'une recette de cuisine.
On a un thème (la musique), des ingrédients (les pas de base),
des techniques (les figures). Prenons l'exemple d'un quatre-quarts.
En gros, c'est 1/4 d'oeufs, 1/4 de beurre, 1/4 de sucre, 1/4 de farine
(plus 1 ou deux trucs en plus).
Tous les quatre-quarts sont faits à partir de cette base et un enchaînement
bien précis d'actions (séparer les jaunes des blancs, etc.). À partir
de cette recette, il est possible de faire des variantes : quatre-quarts
aux pommes, quatre-quarts à la confiture, etc. Pour qu'un enchaînement
de rock à plat puisse être reconnu comme un rock à plat, il faut que les danseurs
effectuent les pas de base (1, 2, 3 et 4, 5 et 6) et des figures basées
sur ce pas de base. Ce sont nos ingrédients et les proportions qui vont
avec. La technique de guidage et le style feront le reste. Mais
on peut très bien imaginer agrémenter notre enchaînement de petits
jeux de jambes ou d'acrobaties. Cette chorégraphie sera toujours un rock,
mais les ingrédients supplémentaires lui auront donné son caractère
spécifique. Là, il faut trouver la limite entre une danse et une autre.
Si je mets essentiellement des acrobaties dans mon enchaînement et que
j'utilise un pas de rock sauté durant toute la danse, j'aurais fait
un rock acrobatique et non un rock à plat. Ce n'est plus la même danse.
C'est comme si, dans ma recette de quatre-quarts, je mets davantage de
sucre et de farine, je ne fais plus un quatre-quarts : ce sera un autre
gâteau. C'est ainsi que différents chorégraphes, en utilisant, la même
musique, les mêmes danseurs et la même technique de danse de base
inventeront chacun une chorégraphie complètement différente de l'autre.
Ensuite, au public de dire s'il aime ou pas, car tous les goûts sont
dans la nature. À chaque chorégraphe son public.
Tout l'art reste malgré tout de faire un gâteau qui soit mangeable...
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