| Le 03 mars 2011
La danse est généralement vécue par ses pratiquants comme un vrai
plaisir. Mais le plaisir vient aussi probablement de la synergie qui
doit exister entre la musique et la danse. J'ai déjà eu l'occasion
de critiquer dans ce blog l'inadéquation entre une musique que l'on
entend et la danse que l'on effectue dessus. Ce genre de situation
arrive particulièrement dans les soirées de danse "en société".
Pour ce qui concerne l'animation musicale, les fameuses soirées
dansantes sont de deux types. Il y a tout d'abord les soirées CD
et il y a aussi les soirées avec un orchestre en direct live.
Aujourd'hui, je vous parle donc musique à danser et des musiciens
qui vont avec.
Dans le premier type de soirées dansantes que je viens d'énoncer,
l'animation musicale est faite en utilisant de la musique enregistrée
(CD, MP3, etc.). La programmation musicale est en général faite par
une personne (un DJ, tout comme dans n'importe quelle boîte de nuit).
Cependant, ce DJ est un peu spécial dans le cadre des soirées
de danses en couple, danses de salon, danses sociales, danses swing,
danses latino, etc. Ce DJ en effet ne parle pas BPM (battements par
minute) comme en boîte de nuit classique, il parle MPM (mesures par
minute) pour déterminer le tempo d'un morceau. Cela signifie que,
comme un enseignant qui contrôle la progression et les aptitudes
de ses élèves, le DJ doit pouvoir contrôler le déroulement de sa
soirée en termes de difficulté, d'ambiance et de variété. Côté
difficulté, c'est effectivement le facteur MPM qui peut déterminer
cela : plus la musique est rapide et moins elle est accessible
aux débutants. L'ambiance est déterminée partiellement par le
plaisir que prend le public : il faut donc passer des morceaux
spécifiquement adaptés à la danse et ne pas satisfaire tout le
temps les débutants au détriment des avancés ou inversement.
Enfin, il semble logique qu'une soirée "toutes danses"
doive proposer une variété de
rythmes (rock, cha-cha, valse, tango, etc.) et répondre aux attentes
des danseurs présents. Le DJ s'adapte donc généralement au public
qu'il a en face : une soirée d'association rurale n'est probablement
pas la même qu'une soirée d'école de danse citadine qui fait
de la compétition de danse sportive ou qui est spécialisée en swing.
Tous ces paramètres sont généralement ajustés en temps réel
tout au long de la soirée par un DJ (ou disc-jockey). Un bon DJ est un DJ qui
est en permanence à l'écoute des danseurs, qui sait juger s'ils
sont fatigués où à quel moment ils souhaitent se défouler
et qui sait donc adapter en permanence sa programmation aux
conditions de la soirée. Depuis quelques années, cependant,
un facteur perturbant est venu s'insérer dans ce type de
soirées dansantes : l'ordinateur. C'est l'avènement du format
musical MP3 et de la virtualisation des platines de DJ qui
a permis de mettre l'ordinateur (généralement portable) au
centre de la diffusion de musique lors des soirées dansantes.
Le logiciel de DJing, parfois assorti d'un périphérique dédié
simulant les platines CD manuelles, permet de visualiser
à l'écran sa collection de musique MP3, de l'organiser,
d'y faire sa sélection et de paramétrer l'ordre de passage
pour le déroulement automatique d'une soirée dansante. Ainsi,
plus la peine d'avoir quelqu'un devant le clavier et l'écran :
le DJ peut très bien aller s'amuser et danser avec les autres
participants. Pratique lorsque tout se déroule bien et lorsqu'on
n'a cure de répondre aux attentes mouvantes des danseurs
sur la piste. J'ai déjà vu plusieurs fois des soirées de ce type
où le programme se déroulait coûte que coûte à l'aveugle jusqu'au
point où il n'y avait plus aucun danseur sur la piste pendant
plusieurs minutes faute de musique répondant aux attentes.
Ce n'est pas l'image d'une soirée réussie qui est restée dans
la mémoire des participants à ce genre de soirée...
À l'opposé du "tout automatique et tout enregistré",
il y a le "tout en direct et avec orchestre". Là ça peut être le
pied. Dans le cas idéal, les musiciens sont en forme, ils ont un
vaste répertoire dansant et des orchestrations qui donnent envie
aux danseurs de se remuer. Si l'on ajoute à cela, une bonne
sonorisation, des pauses adéquates et des danseuses et danseurs
qui respectent les musiciens, on obtient une soirée mémorable
pour tout le monde. Imaginez qu'au lieu de simplement installer
un ampli, des enceintes, un ordinateur et trois spots automatiques,
il a fallu redoubler
d'efforts pour préparer le terrain : accueil des musiciens (vestiaires,
salle de repos), organisation de l'espace réservé à l'orchestre
(montage de la scène),
mise en place de la sono, des instruments (batterie, piano, etc. parfois)
et des microphones,
petite répétition avec les instruments et réglages de la sonorisation
(balance) pour que l'intervention des instruments soit
globalement équilibrée, réglage de la lumière, organisation
du ravitaillement des musiciens (boissons, repas), etc. Et
tout cela n'est que la préparation ! Pensez bien qu'une fois
la soirée finie, il faut encore ranger tout cela, démonter la scène,
payer les musiciens, etc. C'est plus compliqué, mais c'est comme cela
qu'un orchestre aura envie de s'investir et qu'il pourra faire
danser l'assistance jusqu'au bout de la nuit... Lors d'une soirée
avec orchestre, les musiciens proposent la musique aux danseurs, qui
en disposent. Les musiciens gèrent, morceau après morceau, l'ambiance
de la soirée en fonction de ce qu'ils voient sur la piste de danse
(il est donc important que les danseurs ne soient pas dans l'obscurité,
ni les musiciens aveuglés par les spots lumineux). À l'inverse,
les danseurs dansent en fonction de ce qu'ils entendent,
interprètent la musique et peuvent réagit à la moindre surprise.
Et des surprises, certains musiciens et chanteurs habitués aux
soirées dansantes en parsèment leurs prestations à la plus grande
joie des danseurs. Je me souviens d'une soirée swing où, dans la prolongation
d'un couplet lent, la chanteuse (Jennie Löbel pour ne pas la citer)
s'est envolée dans un scat de plus
en plus rapide annonçant habituellement une section rapide pour,
au bout de sa course de "bidouap tibidibidi", nonchalamment continuer sa chanson
à la vitesse lente initiale, alors que les danseurs s'apprêtaient à dynamiser
leur danse. Elle s'est amusée de ce contre-pied avec un petit sourire
tandis qu'une grande partie des danseurs de la salle éclataient de rire.
Dans son livre "L'ambassadeur du lindy hop" , Frankie Manning,
parle aussi très bien de cette interaction entre les danseurs et les
musiciens. La scène se situe lorsque Frankie s'apprête à faire
une acrobatie en lindy hop pour la toute première fois en public.
Les musiciens cités sont le batteur et chef d'orchestre Chick Webb
et le trompettiste Taft Jordan.
Ce fut une fois où nous dansâmes vraiment
sur la musique et c’était comme si l’orchestre captait tout ce que nous
faisions. À chaque fois que je lançai fort ma jambe, Chick disait :
" chiboum ! " Si je faisais un petit swing out, Taft Jordan jouait :
" biiyooouuww ! " Frieda avait l’un des twists les plus géniaux de
toutes les filles et elle savait vraiment le mettre en valeur. Quand
elle faisait des twists autour de moi, Chick Webb jouait : " chiii-chichi,
chiii-chi-chi " sur les cymbales, tenant la mesure avec elle. Ils
jouaient un riff derrière moi et je pensais : " Ouais, restez avec moi
les gars ! " Je ressentais tout ce qu’ils faisaient et l’orchestre marquait
chaque pas que nous faisions.
Dans un autre genre, l'interaction entre les danseurs et les musiciens
est un peu différente, mais elle est tout aussi présente. Dans
le livre "La danse country & western"
de Ralph G. Giordano
(à sortir en français avant l'été : je suis en train de travailler
sur sa traduction), l'auteur décrit, entre autres thèmes,
l'ambiance des honky-tonks et des salles de danse au Texas. Il
raconte quelque chose qui montre bien que les danseurs peuvent être
attachés à un orchestre et au fait qu'il y ait de la musique
dans une soirée...
En général, l’orchestre jouait de manière continue et retenait
les gens sur la piste de danse. De temps à autre, un musicien ou
deux faisaient une pause tandis que les autres membres de l’orchestre
jouaient un long solo ou un morceau spécifique qui ne nécessitait pas
tous les instruments ou les chanteurs. Dans la plupart des cas, une
pause longue ou un entracte sans musique impatientait généralement la
foule et entraînait parfois du rififi.[...]
Il était clair que les Musical Brownies étaient l’attraction principale
et drainaient les foules, peu importe ce qu’ils jouaient.
Dans certaines soirées dansantes, je suis peiné de voir que
les danseurs ne "calculent" pas les musiciens qui jouent pour eux.
Ils dansent exactement comme s'ils entendaient le son d'un CD
sortir des haut-parleurs, ignorant sereinement qu'il y a quelques
bonshommes qui gigotent sur l'estrade d'où vient le son.
Imaginez une soirée dansante où l'ensemble des danseurs ignore
les musiciens. Cela ne donne assurément pas à ces derniers
l'envie de se démener pour faire la meilleure prestation possible
et cela devient aussi assez désagréable pour eux. Les musiciens
aiment savoir qu'ils jouent pour un public et s'ils voient que,
en plus, le public s'amuse en dansant et apprécie ce qui est joué,
cela les motive d'autant plus. C'est là que les petites surprises
musicales peuvent survenir. Ainsi, lorsque vous dansez sur la musique
d'un orchestre en direct, jetez de temps en temps un coup
d'oeil aux musiciens avec un grand sourire, réagissez aux subtilités
de ce qu'ils jouent et applaudissez pour les remercier lorsque le
morceau est fini. Dans certaines soirées swing, il est courant que
les danseurs insèrent un shim-sham pour remercier l'orchestre.
Le principe est simple : tous les danseurs se mettent face à l'orchestre
et dansent à l'unisson la chorégraphie de danse swing en ligne du
shim-sham. Il existe plusieurs variantes de shim-sham et le shim-sham
promu, entre autres, par Frankie Manning est entièrement détaillé
dans mon livre "Le lindy hop et le balboa" , sorti en 2010.
Sans la musique et les musiciens qui la composent et la jouent,
il n'y aurait pas de soirées dansantes, ni de cours de danse.
Ce qui me désole parfois,
c'est de voir des danseuses et danseurs considérer la musique comme
un simple accessoire. Certains demandent : "passe-moi une valse,
n'importe laquelle, je m'en fiche", d'autres disent : "cette chanson
est nulle" alors que d'autres adorent danser dessus. Il y a aussi des
personnes qui copient des CD sans se préoccuper de savoir ce qu'il
y avait d'écrit sur la pochette, ni quel artiste en interprète la musique.
Je pense que ce qu'il y a de pire que de copier illégalement un CD,
c'est de ne pas respecter l'artiste qui l'a créé. Quand on aime un
morceau de musique, la moindre des choses est de s'intéresser à l'artiste
qui en est l'auteur. Bien sûr, on ne mémorise pas tout d'un seul coup
et c'est à force d'écouter et de lire le nom de l'artiste associé
à une chanson qu'on le mémorise. Dans le même esprit, si vous adorez
un artiste et que vous écoutez souvent ses chansons issues d'un CD
ou d'un MP3 piraté (il faut tout de même prendre la réalité en compte),
la moindre des choses est, au moins de temps en temps, d'acheter légalement
un CD ou un MP3 de cet artiste. Il faut garder en mémoire que sa
musique c'est son gagne-pain. C'est d'autant plus vrai pour les
"petits" artistes et les "petits" labels qui fonctionnent d'une manière
proche de l'artisanat. C'est à la fois une question de reconnaissance
et une question de respect pour l'artiste.
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